La légende comme source

Parfois, lorsqu’on navigue dans les eaux de l’art, une question inattendue nous arrive à l’oreille, remplaçant l’habituelle « Que fait cet artiste ? » par un « C’est qui ce mec ? ». Douglas Park a fait basculer les réflexes interrogatifs. Car ici la balance hésite en permanence et doucement entre la personne et la pratique.

Douglas Park est un artiste anglais, vivant dans le sud de Londres. Il est peut-être dans le top dix des artistes les plus connus de la scène londonienne, bien que, précisément, on ne sache pas précisément ce qu’il fait, ce qui ne préoccupe personne, car c’est, en l’occurrence, une mauvaise question.
Entre la mascotte et le socializer à l’américaine, associée d’érudition frénétique, Douglas Park est celui qui cherche à sortir des travers qui font de lui un personnage.
Connaissant ce que personne ne connaît (par goût, par luxe ou par devoir civique on ne sait pas), il est devenu l’encyclopédie vivante des pratiques les plus obscures : amateurs, fous en tous genres, œuvres perdues et disloquées, groupes improbables, scandales étouffés, parias, professionnels hors catégories, qui consituent une deuxième histoire de l’art, non pas que cette histoire alternative souhaite aspirer à de quelconques lettres de noblesses, mais plutôt parce qu’elle est le terrain méconnu sur lequel se forme l’indispensable et grande Histoire de l’Art. Douglas Park est le connaisseur des « artistes pour artistes », ceux dont, parce qu’ils passent sous les radars de l’académie, on imite, dans certains cas, les meilleures idées. Il devient aussi le défenseur de nouveaux rôles, ceux qui, ne suivant pas avec orthodoxie les clous d’une carrière artistique, deviennent, par façon d’être et parfois par accident, des agitateurs.
Récitateur d’anecdotes et d’épisodes capitaux de l’histoire de l’art moderne, à n’en plus finir, il poursuit inlassablement une double quête d’évangélisation à la cause de l’art et au récit. Ces lectures frôlent avec la fiction, le moment où l’événement vrai rejoint la création artistique en évitant la neutralité documentaire. Ce qui est adjacent prend alors une place centrale. La légende est sa source. Et les individus valent autant que les objets, les moments et les actions prévalent sur les lieux, et donc, pour reprendre une formule connue, l’art se confond avec la vie. Il faut donc être exemplaire.
En prêcheur expérimenté et obsédé par le détail, Douglas est entouré de fidèles supporters et en profite pour agir avec de multiples groupes déterminés et indéterminés, des groupes comme ceux qu’il a dans la tête. Il prendra le rôle de l’acteur, du performer ou du critique d’art, et deviendra, comme dans chacune de ses collaborations une mémoire vivante et fiable de l’action collective.
Il est celui qui ajoute, en apportant avec modestie une personnalité comme symbole visible et en faisant dévier ce qu’on lui propose. De portrait, de lui-même et d’autres personnes, il est toujours question avec Douglas Park. Mais les dizaines et les dizaines de portraits qu’on a fait de lui, les hommages, forment un ensemble s’agrandissant qui cache les particularités d’un prose et d’un style omniprésent. Constituées de ricochets, mobiles et divagantes, les performances de Douglas sont les cours de celui qui a vécu l’histoire en direct et retranscrit, conteur sur-documenté, un ensemble hallucinatoire de sensations et de faits. L’adepte de la parenthèse et de l’insert, des déclinaisons de mots et d’évènements historiques, l’homme fasciné pouvant encore tout savoir dire et tout dire, reste un modèle, dans sa capacité à transformer en forme plastique absolument tout, du mot à l’image, ce qui lui tombe sous la main et entre les oreilles. 


Damien Airault
2014, Pantin
Oct. 2013
Seoul

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